Et oui, travailler sur l'énergie locale est passionnant !
[contexte]
Il n’y a pas de doute: initier une communauté d’énergie est une mission qui intimide, même les plus courageux. Elle exige de l’innovation tant technique, financière que sociale. Elle gère un secteur utilisant des panneaux qui affichent carrément “danger de mort”. Mais l’électricité, c’est aussi un secteur sur lequel nous dépendons lourdement. Au quotidien. C’est un levier par lequel nous pourrions vraiment avoir un impact significatif sur le changement climatique. Vous êtes fatigué.e.s d’être sermonné.e.s sur vos habitudes de consommation? Vous voudriez transformer votre préoccupation par rapport au changement climatique en action? Les communautés d’énergies sont une opportunité unique pour allier changement structurel d’un secteur avec des actions pratiques et concrètes sur le terrain.
UN PAYSAGE FLUCTUANT
Le secteur de l’électricité est en train d’être fondamentalement revu, comme jamais auparavant. L’utilisation, la production, la distribution et la régulation de l’électricité n’ont jamais été aussi remaniées à ce point. Ceci ouvre la porte à des innovations technologiques, commerciales et sociales qui nous donnent l’opportunité de rendre le secteur plus propre et plus juste. Ces changements du secteur proviennent de différents facteurs:
- Les ménages consomment plus d’électricité et certains sont devenus producteurs;
- Le modèle du marché libre a atteint ses limites et les régulateurs comme l’Union Européenne reconnaissent qu’un marché dérégulé nuit aux consommateurs ainsi qu’à l’environnement;
- Des communautés conscientes du changement climatique sont en train de mettre pression sur le secteur pour le rendre plus propre;
- De nouvelles technologies sont devenues accessibles;
- Les décideurs politiques sont en train de modifier le cadre législatif pour permettre à d’autres acteurs d’entrer dans le jeu. Dans sa directive sur l’électricité de 2019, l’Union Européenne mentionne explicitement le partage d’électricité au sein d’unités de production appartenants à une communauté. Elle va même jusqu’à accorder aux communautés d’énergie le droit de gérer les réseaux de distribution dans leur zone d’opération. Elle répète son souhait de travailler avec des citoyens et des communautés d’énergie dans son European Green Deal de décembre 2019. Dans les deux années à venir (2020-2021), ce souhait se traduira par de nouvelles législations régionales et nationales. C’est une opportunité unique pour les communautés d’énergie de donner forme à ce cadre juridique, en donnant dès maintenant des preuves de ses mérites.
Bref, le secteur est en train d’être remodelé pour les générations à venir, et le moment d’influencer, c’est maintenant!
o Communautés d'énergie
Le secteur de l’électricité est sujet à ce que les économistes qualifient “d’accumulation”— une large partie de celui-ci est composé de “petits” bouts, ici des foyers de consommateurs. Ces foyers ne changeront leur utilisation de l’énergie que s’ils sont convaincus des bénéfices à y tirer, d’ordre financier ou autre. De nombreuses personnes en concluent que la transition écologique sera sociale ou bien elle ne sera pas. Le changement devra venir “d’en bas”. Notons que ceci résonne plus généralement avec une méfiance envers et un rejet des institutions et autorités qui essayent d’imposer du changement de haut en bas. Selon Rescoop, la Fédération Européenne de Coopératives d’Energie, une communauté d’énergie est “une communauté de citoyens qui s’organisent sur base d’une participation et d’une gouvernance ouvertes et démocratiques, pour coopérer sur une activité en lien avec le secteur d’énergie afin de pourvoir des services et autres bénéfices aux membres de la communauté locale” (traduit du texte originale en anglais).
Ces communautés semblent être beaucoup plus rares dans les villes qu’à la campagne. Jusqu’à ce jour, la Région de Bruxelles a bien une coopérative d’énergie (Energiris) mais aucune communauté de partage d’énergie organisée de façon ascendante. Quelle différence entre ces deux? La première est une communauté émergeant d’une infrastructure technologique. La deuxième nait d’une communauté de citoyens.
Expérimenter dans le monde réel et à la pointe de l’innovation
Il a été démontré qu’une demande pressante d’entrer en action, même combinée à une accumulation de preuves d’un système au bord de faillite, n’est en soit pas assez pour mener à du changement. On a besoin d’avoir à disposition des alternatives concrètes, dont certaines n’existent pas encore. Elles ont été essayées et testées. Encore faut-il qu’elles ne soient pas entièrement conçues et modelées en laboratoire, mais plutôt expérimentées dans le monde réel. Elle doivent prouver leur mérite dans la vraie vie. Prenons par exemple la tentative de modifier nos habitudes de consommation en électricité pour la faire s’aligner avec la production d’électricité verte. Il y a une quantité de solutions techniques et technologiques imaginables pour faire que nos machines à laver fonctionnent au moment où la production solaire est à son maximum. Appliqué au monde réel, cela voudrait dire que les machines à laver devraient fonctionner à midi, quand les habitants ne sont pas chez eux. Ceux qui l’ont essayé le savent bien: laisser du linge humide pendant des heures dans la machine à laver n’est pas une bonne option. La consommation est donc relayée à plus tard, à la fin d’une journée de travail, rajoutant au pic de besoins en électricité inévitablement liés à ce moment de la journée.
Le village de Loenen aux Pays-Bas a une population d’à peine 3500 habitants. L’idée de devenir auto-suffisant en électricité obtient le soutien de la commune en 2013. Depuis, cette petite communauté est devenue un laboratoire d’initiatives sur l’énergie: isolation collective, installations de panneaux solaires, réduction à la dépendance au gaz. Ces initiatives étaient pour la plupart soutenues par son propre Fond Energie et gérées par la Coopérative d’Energie Loenen. Le plus surprenant dans l’histoire: à une enquête sur les motivations les poussant à s’impliquer, les habitants de Loenen répondirent en premier lieu l’autonomie que ces mesures apportaient, puis réduire l’empreinte écologique, troisièmement réduire les factures d’électricité et enfin, l’innovation— l’envie de faire partie d’une initiative réellement unique, expérimentale et pionnière.
o Redistribution
La transformation fondamentale du secteur de l’électricité nous donne de plus une autre opportunité. Les communautés urbaines défavorisées sont souvent décrites comme une catégorie à part dans la recherche sur la transition énergétique. Ils cumulent des désavantages multiples, par exemple une isolation des foyers moins efficace, pauvreté, forte densité… En Belgique, les 10% des foyers les plus pauvres dépensent 13% de leur revenu en énergie, alors que ceci de représente que 3% de leur revenu pour les 10% les plus riches. Une étude par la fondation New Economics intitulée “Combler les lacunes” perçoit l’économie locale comme un seau. “Si quelqu’un a £5 et le dépense dans les magasins du quartier, les £5 restent dans le seau. Mais quand ils payent leur facture d’électricité, cet argent ne reste pas dans le seau. Les dépenses en électricité sont comme un trou dans le seau: les £5 s’écoulent par ce trou car l’approvisinoneur est une entreprise qui n’est pas locale”. Les panneaux solaires offrent une possibilité unique de produire localement, même dans un contexte urbain. Mais nous pouvons aller plus loin que de réduire la distance que l’électricité doit voyager. Nous pouvons aussi afficher l’objectif de maintenir dans le quartier l’investissement et les bénéfices. Et celui de connecter les voisins pas seulement avec des cables en cuivres mais en construisant des liens sociaux durables.
o Conclusion
En conclusion, nous pouvons dire qu’on est de plus en plus conscient que la transition énergétique doit émerger de façon ascendante si nous voulons espérer avoir une chance qu’elle réussisse. Et cette transition devra être informée par l’expérience de terrain. Les initiatives récentes de l’Union Européenne sur l’énergie verte ouvre la porte à ce que les communautés aient un role plus actif, dans un paysage qui est en cours de prendre forme. Ces différents facteurs font que ceci est bel et bien le moment opportun, ajoutant à l’urgence des rapports sur le changement climatique. En plus de rendre le secteur plus vert, le changement de structure de propriété dans le secteur de l’électricité pourrait redistribuer les coûts et les bénéfices de façon beaucoup plus juste et égalitaire.